2023 - Exposition - Maison Lismonde

Depuis près de 40 ans, l'artiste Jocelyne Coster questionne le rapport entre l'humain et l'univers.
Elle scrute les différentes échelles du monde, mesure inlassablement les analogies entre l'infiniment grand et l'infiniment petit. Associant données cartographiques et empreintes digitales, l'artiste nous invite à cheminer au travers de territoires dans lesquels micro et macrocosme se superposent et fusionnent pour n'en former qu'un. La réflexion de l'artiste sur la globalité de l'univers et l'enchevêtrement subtil et harmonieux des éléments qui la composent débouche sur un nouveau questionnement lié à la fragilité de notre globe terrestre face au changement climatique.

Catherine de Braekeleer- Historienne de l’art

2018 - Exposition espace 340

D’une certaine archéologie du contact

Le geste créateur engage tout à la fois le corps dans le monde et l’y dérobe nécessairement dans la temporalité présence-absence du geste - de l’empreinte - de la trace, pour gagner l’horizon d’un temps immémorial du commencement, de l’étonnement.
Le travail de l’artiste Jocelyne Coster est tout entier suspendu à cette mise entre parenthèses inaugurale de la relation au monde, où la présence immédiate s’efface pour accueillir la rencontre, enfouie aussitôt dans les limbes de l’absence, gainée jusqu’à l’épure du signe dans les sillons et les nervures du questionnement et dans le désir « ascendant » de cette conscience qui n’a qu’elle-même – le monde en somme – pour exister.
Des premières sérigraphies et acryliques sur toile (Série Ascendance, 1988) – strates du temps et de l’espace de l’être-en-altitude - jusqu’aux empreintes, gestes, mouvements-fossiles du corps – le Sien, celui de l’Autre, tapis dans l’embrasure de l’inquiétante étrangeté du proche - Jocelyne Coster sonde, explore, scrute, mesure, fouille et creuse sentiers et galeries sur et sous l’épaisseur sédimentée de la peau du monde. Recherche du temps à venir – incertain - de la réconciliation de l’humanité avec elle-même.
Des captures photographiques en surplomb de la terre, aux empreintes numérisées de gestes allégoriques ( Série Gestes, 2018 , exposée en avant-première au 34 6 chezMarie et Pierre Martens) ; du corset poétique des arpents, empans et coudées , mise en abyme du corps (2000) , à l ’« Article 13 – 2006 » de la Déclaration universelle des droits humains qui scelle dans le corps et la peau de l’humanité l’interdit des frontières, la longueur focale de l’objectif de Jocelyne Coster s’aiguise, jusqu’à être aspirée – avec toute sa lumière- dans un espace-temps ressemblant étrangement à un trou noir, « point de diversité infinie où la courbure de l’espace-temps est également infinie » devenu le gardien de la mémoire du contact retenu dans l’empreinte et le geste. Le geste, comme en apnée dans cet entre-deux du réel, se transit d’une densité et d’une vibration troublantes. Serré dans la résille de l’empreinte, il n’est plus la "ressemblance du contact" mais le contact même, un fragment de réalité et d’humanité universelle. D’un singulier mouvement, collapse, effondrement de la surface des apparences en érection d’un bloc d’éternité- provisoire.
Polisseur de lentilles, le philosophe Spinoza glissa dans l’inventaire de sa succession « longues vues, loupes, verres taillés à cet effet et différents outils pour tailler tant meules que loupes etc. ». De lui Feuerbach écrivait que « La philosophie de Spinoza est un télescope qui met à la portée de l’œil les objets invisibles à l’homme en raison de leur éloignement » (Histoire de la philosophie moderne, 1833). Quant à nous, laissons-nous apprivoiser par l’énigme et la force de la création de Jocelyne Coster pour nous "tenir à portée de l’œil et du cœur des relations invisibles entre les êtres".

Nadine Monteyne -Philosophe

2017 – MENA

Installation pérenne de l’artiste Jocelyne Coster dans les locaux du Centre d’accueil pour réfugiés d’Uccle-Croix Rouge.
"MENA" pourrait être le nom d’une constellation d’étoiles. Une constellation d’enfants mineurs exilés, arrivés seuls en Europe, guidés par l’espoir d’une vie meilleure dans une Terre d’accueil où leurs Droits Humains seraient respectés. Littéralement le sigle administratif MENA définit le "mineur étranger non accompagné"… c’est-à-dire un être humain vulnérable, marqué par les cicatrices de la séparation, du doute, de la peur, de l’exil et de ses embûches. Des cicatrices qui creusent dans la peau le sillon de la mémoire, esquissent les contours presqu’harmonieux d’un paysage utopique où les frontières rythmeraient la partition d’un monde libre, égal et fraternel. Un corps palimpseste du voyage, des origines et de l’avenir.
L’artiste Jocelyne Coster s’engage dans le monde qu’elle habite de toute son humanité, et dont elle explore depuis toujours les strates à travers son travail de "cartographie-dermographie". Elle est-au-monde et s’y tient dans la proximité d’un dialogue du corps, le sien, celui de l’universalité du corps de l’Autre, elle y suspend le souffle de son inspiration, parfois jusqu’à l’apnée, jusqu’ à l’épure des corps, leur signe. Toute vigilance et poésie confondues, sa démarche artistique tisse l’entre-deux d’une relation avec l’Autre, le corps de l’Autre qui est aussi le sien, tout à la fois familier dans l’Humanité et d’une « inquiétante étrangeté » à sonder inlassablement pour tenter d’en percer l’énigme.
Parce que le sens de son travail et de sa vie sont naturellement intriqués, Jocelyne Coster s’est engagée comme bénévole il y a deux ans au Centre d’accueil d’Uccle pour aider les adolescents MENA à atteindre leurs objectifs d’insertion en suivant une scolarité « normale ».
L’été 2017, Jocelyne Coster a reçu la proposition du Centre de disposer des murs de la salle d’accueil pour y réaliser une création en lien avec le lieu et l’histoire de ces jeunes adolescents.
Avec l’accord et la confiance de la Direction et de l’équipe des responsables, J.C. a réalisé une fresque murale formée des empreintes anonymes des pouces de douze adolescents du Centre qui avaient souhaité participer au projet. L’empreinte du pouce de l’artiste s’y mêle et s’y confond. L’ensemble forme un paysage à la fois intérieur, géologique,traversé par le fil d’Ariane d’une frontière dynamique, mélodieuse, rouge et sismique. La topographie d’histoires qui s’enchâssent, se recoupent. Récit singulier d’histoires singulières et universelles. Les empreintes ont été marouflées sur les murs de la salle d’accueil des adolescents. Elles leur rappellent jour après jour d’où ils viennent – avec leurs fêlures et leurs cicatrices – et leur désignent la voie de l’espoir en une humanité qui leur tendra toujours la main.

Nadine Monteyne, Philosophe

2016 – exposition - Galerie Artitude

Quelle est la frontière entre notre corps et le monde ? Et comment puis-je me situer dans l’univers ? Pour répondre à ces questions, Jocelyne Coster en pose d’abord quelques autres : quelle est la taille du monde ? Et quelle est la taille de l’humain dans ce monde ? S’ensuit: quelles échelles peut-on calculer à partir de ces deux pôles essentiels ? Que nous racontent ces échelles de mesures ?
Jocelyne Coster interroge en permanence le rapport entre l’humain et l’univers. C’est-à-dire entre son propre corps et l’immensité de ce qui l’entoure. Ce questionnement est le centre de son travail. Prenant ses mesures, elle veut ensuite les mettre en dialogue. L’infiniment petit et l’infiniment grand se répondent. Ils sont proches, presque semblables. Ils ont des liens de fraternité étonnants et émouvants.
Ainsi, en photographiant des paysages vus du ciel, elle les met en rapport avec les empreintes d’une peau. La topographie d’un endroit vaste et large versus un petit morceau d’épiderme agrandi. Ce faisant, elle fait exploser notre rapport à la taille des choses. Avec ces liens, l’artiste entame un dialogue universel, que nous ne pouvons refuser. Car il est question de notre identité. Parfois, des tensions apparaissent entre ces deux extrêmes. Coster nous les fait voir. Elle prend position.
Pour son nouveau travail, elle présente un langage avec les mains. Une ou deux mains se mettent en mouvement et expriment un concept compréhensible partout dans le monde : le pouce levé de l’autostoppeur, une main qui compte, un doigt accusateur, deux mains qui miment l’acte sexuel… Après les frontières géographiques, ce sont les frontières de la communication et du langage que tente de faire éclater l’artiste. Si ces gestes-là sont universels et compréhensibles par chacun tout autour du globe, alors quelque chose de l’ordre de l’apaisement est possible.
Enquêtant sur le pouvoir des mots, Jocelyne Coster s’empare de couple d’antonymes avec lesquels elle joue sans frein. Sur un élégant plissé de métal noir, abondance se lit d’un côté, alors que de l’autre, on peut lire austérité. Plus loin: réalité – fiction, impartiale – arbitraire ou cynisme – respect… C’est l’angle de vue qui définit ce qui est à lire. Voilà bien la marque de fabrique de l’artiste qui s’applique à proposer encore et toujours d’autres manières de voir la réalité. Ce twist parfois poétique, souvent poétique, est surtout d’une clairvoyance précise et aiguisée.

Finalement ce qui obsède Jocelyne Coster, ce sont toutes les interactions possibles de l’humain. Et donc, sa place dans le monde et au milieu de ses semblables. Une quête autant personnelle et intime qu’universelle et politique. Jocelyne Coster est née à Bruxelles en 1955. Elle est diplômée en sérigraphie (atelier de Marc Mendelson) de l’ENSAV La Cambre. Elle a été professeure de sérigraphie, entre autres, plusieurs décennies à l’Académie d’Ixelles. Elle expose régulièrement depuis les années 1970. Une monographie, Identification, a été publiée en 2013 à La Lettre Volée.


Muriel De Crayencour – journaliste

2011 – Identification – éditeur La Lettre Volée

TRACEMENTS DU CORPS COMME DU GLOBE

2009, Chapelle de Boondael, exposition de Jocelyne Coster… Je vois un panneau blanc de 2 mètres sur 2 sur lequel, seules, sont laissées des traces de mains et de pieds noirs… Etrange… Et bien sûr je ne ‘vois’ pas, je ne ’saisis’ pas bien, je suis littéralement interloqué… Mais cette « Etape », comme l’intitule l’artiste, me retient, justement pour ça : parce qu’elle trouble les habitudes de la vision et qu’elle coupe en effet la parole en même temps que la vue !

Après tout, la plus large part de l’activité artistique ne provoque rien d’autre que cet écart des usages et des utilités, non pas pour s’isoler dans une transgression (impasse moderne), encore moins pour se satisfaire d’une parodie (impasse post-moderne), mais pour un autre « partage du sensible », selon l’expression de Jacques Rancière. L’expression est tentante pour assigner la portée d’une création artistique – sauf qu’elle devient vite un passe-partout et qu’elle peut aussi bien s’inverser : un partage autre, donc d’un insensible. Car, s’il est ou s’il devient autre, ce partage ne peut que soulever l’insensible hors du commun. Pas d’autre partage en commun sans écart de la représentation commune ! L’imitation ou la copie n’ont jamais rendu compte d’un tableau, figuratif ou pas. Le malentendu ou le ‘mal vu’ face aux œuvres d’art sera toujours venu de çà, de cet écart, ce grand écart entre l’envie de donner en partage et le désir de découvrir l’impartageable. N’était-ce pas déjà le cas des peintures rupestres ? Re-présenter ne présente à nouveau qu’en s’affrontant à ce qui échappe à la représentation, nécessairement toujours déjà reconnue. En somme, n’apparaît-il pas que peindre – et il en va de même pour n’importe quelle création qui mérite ce nom - n’aura jamais représenté que l’irreprésentable, jamais rendu sensible que l’insensible, jamais partagé que l’impartageable ? Faute de quoi tout retombe dans l’insignifiance…

Revenons à Jocelyne Coster, à ce qui d’emblée dans ce grand espace blanc à peine bordé de traces nous aura sensibilisé…. Mais à quoi ? Que leur impact nous donne une autre sensibilité renvoie d’abord à l’espace et au temps : pour ce faire, elle aura pris à bras le corps la terre… Ce que nous ne découvrirons pas d’un seul coup. Pas plus qu’un mot, un tableau seul n’est jamais juste, la peinture ne se mesure ou plutôt nous ne prenons la démesure d’une œuvre qu’à condition d’en suivre tant soit peu l’expérience. Or son œuvre, ses œuvres fourmillent d’inventions techniques dont la plasticité nous touche. Mais de quelles façons et pour quel enjeu ?


Itinéraire : la terre à la trace

1985 et suivantes : tout commence par des sérigraphies qui usent de divers procédés : accélérations qui allonge l’image, reprises par acrylique sur toile des découpes tirées du "Livre des éphémérides" du navigateur et titrées du même nom ou, venues de " Aller-retour en x escales ", photographies en vol depuis l’arrière d’un ULM raccordées sur toile et titrées "Ascendance ", paysages cartographiques agrandis en plans imprimés et sur imprimés, de la gare de La Louvière aux Iles des Philippines en passant par Long Island ou Cuba, imprimé sur papier, sur verre, sur toile, sur bois… L’artiste témoigne déjà de la singularité de ses "déplacements" qu’ils soient d’elle-même – ses voyages la portent un peu partout et toujours elle s’entête à saisir des vues de hauteur (on l’a vu, s’il le faut, elle n’hésite pas à louer un véhicule aérien) – ou qu’ils soient dans son travail : photographie, agrandissement, application, coloration, superposition de plans se succèdent avec tout autant d’obstination. Il s’agit à chaque fois de capter l’espace et de le regraver sur des surfaces assez grandes, entre 1,50 et plus de 2, parfois même 3 mètres, selon des formes colorées qui se chevauchent et serpentent et s’étirent : donnent l’impression d’un temps de l’espace.

Jusque là, les captations traitées de façon multiple respectent ce qu’elles reçoivent, les vues de terres sont certes prétexte à présentations transformées, mais elles restent seules en cause : l’espace trempé au temps de l’art demeure avant tout l’espace terrestre, fût-ce sous la forme d’un globe (la série des quatre boîtes " Météosat " datées de 1993 - mais dont il faut remarquer qu’elles sont parallèles à la naissance et à la mort d’un nourrisson) ou d’une carte de géographie (celle des " Eruption ") et rien d’autre. Même le Projet pour la Tour gaz vapeur d’Electrabel sur une structure tubulaire destinée à faire ressortir des points lumineux offre le plan d’une ville, Bruxelles, tout comme l’ " Astrolabe " géant - une sérigraphie sur aluminium et inox de 5,50 mètres pour l’Aéroport national - épluche les photos du ciel en spirale :" Elle épluchait la terre comme on épluche une orange, commente Chantal Talbot, la spirale de l’épluchure (celle avec laquelle on doit faire un vœu) se déploie, s’ouvre, nous dévoile ses anneaux, ses espaces vides et pleins."

Cependant, en dépit de l’éclat des procédés techniques, l’œuvre garde un aspect conceptuel - ce que deux autres commentateurs avaient déjà remarqué dès 1988 - dû peut-être à l’objectivation photographique, à son aspect réceptif et répétitif.

Jocelyne Coster, précisément, n’en reste pas là.

Itinéraire : la trace de l’empreinte

Car l’expérience bascule, - est-ce la butée du réel de la naissance et de la mort qui le précipite ? des éléments hétérogènes font irruption dans le travail de l’artiste. En 1993, au hasard de rencontres avec des paysans de la Jamaïque, sur les photographies de paysages surgissent des empreintes agrandies de la peau de sa main. Pareilles empreintes digitales vont dès lors s’imposer, comme dans la sérigraphie " Fayence" en 1997 où un pouce agrandi est surexposé. De même, en 1995, la série des " Solstice " est traversée par des articles de presse datés du 21 juin ou du 21 décembre et choisis par des personnes de nationalité différente.

L’irruption hétérogène n’est autre que celle de l’humain sur la terre !

Mais sans aucunement céder à la reproduction imagée. Des cartographies terrestres aux empreintes corporelles, une analogie imprévue se voit dès lors explorée. Pour en saisir l’impact, ravivons tout d’abord notre mémoire : une analogie n’est en rien une ressemblance ; elle met en rapport quatre termes différents dont la relation seule est identifiable (A/B=C/D) ou, de façon quelque peu abusive, elle désigne un tiers commun inversé entre deux éléments sans rapport (A/B=B/C)…. Et ce que les nouvelles sérigraphies, dès 1998 et 1999, agrandissent ce sont les traces des doigts ou de la paume, aussitôt titrées de termes géographiques : " "Confluent" , "Fluvial", "Pacifique", "Isola"… Bleues et terre de Sienne, ces acryliques sur toile ont à peu près les mêmes grandes dimensions que les tableaux précédents ce qui renforce encore l’analogie : la trace, la marque perceptible! Le tour est joué : la peinture de Jocelyne Coster nous aura rendu sensible ce qui reste du passage de la terre au plus loin comme des corps au plus près – la nature, a écrit Whitehead, un des principaux philosophes anglo-saxons du siècle dernier, est toujours ‘de passage’. Le passage, imperceptible en tant que tel (des silhouettes de territoires aux empreintes digitales, toutes deux invisibles à la vue commune - à sa vision tout à la fois immobile et terre à terre -, en passant par la lumière insaisissable), aura été donné en partage sensible par la mise en coupes et en traces colorées de la peinture. L’importance de la lumière transfigurée par la couleur éclate alors : la série "Volare nel blù" offre même une coloration bleutée qui envahit le film polyester laissant à peine se dessiner des traces noires et légèrement dorées qui se retrouvent dans la série "Approache" laquelle, comme prise lors d’une atterrissage (en attendant, en 2001, la série "Take off", empreinte de pied comme en décollage), capte la mobilité du même geste que la lumière. La peinture n’imite pas la nature : elle trace de ses marques de couleurs l’empreinte du globe en mouvement et des corps en évolution !

Pour quel enjeu, enfin ? Ces dernières années précipitent la réponse possible par leurs initiatives passionnantes.

Itinéraire : le partage des traces

"Coudée", "Empan", "Pied" : l’exploration se poursuit, nous poursuit de ses surprises, littéralement. Elle porte sur les morceaux de corps, liés aux mesures avant l’invention du mètre, au point de constituer un autoportrait pour le moins singulier : la sérigraphie sur érable peint et vernis "4 mains = 1 coudée autoportrait" montre un mètre pliant ! Mais pour précise qu’elle soit, la prise d’empreinte ne tombe jamais dans la formalité. En 2003, « "Catastrophe annoncée" ou "Adieu banquise" font surgir la montée des eaux dans la prise d’empreinte humaine (la paume de la main de la propre fille de l’artiste transparaît). Il ne s’agit même plus d’analogie, mais d’une cause commune : si la grande empreinte traversée de lignes cartographiques de 155x150cm s’intitule "De Sienne à Outremer", c’est pour joindre dans la couleur, terre de Sienne et bleu Outremer, les membres et les éléments. Cause entendue: "Naître", sur verre et bois, retrace le monitoring cardiaque de l’enfant à la naissance le rapprochant, rouge sur fond bleu et tourbillon sombre, d’une éruption volcanique. Et son prolongement entraîne le défi d’illustrer les quatre éléments par séquences de 12 depuis le pied da sa fille, Leila. S’en suivent, de ses 6 à ses 10 ans, 5 empreintes de son pied, combinées avec des règles de bois, ou imprimées seules sur panneau de fond blanc, ou noir sur noir…

Pas plus qu’un repli formel, il n’en résulte un repli individuel. Déjà rencontrée dans les voyages initiaux, la dimension politique - au sens premier : des conditions de l’action qui engage l’existence en commun, le partage - passe à l’avant-plan en 2006. L’occasion est donnée par l’annonce du relevé des empreintes digitales exigé au passage des frontières… "Je me suis donc fait rattraper par l’actualité de manière inversée, raconte Jocelyne Coster, puisque depuis plusieurs années je renvoyais les empreintes à la géographie et que là on allait les demander pour pouvoir se déplacer !". Sa riposte ne tarde pas, elle décide d’illustrer l’ "Article 13" de la Déclaration des Droits de l’Homme : "Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat". Dont acte. Complétés par la série "Frontières", les panneaux font déborder du bleu marin et du brun digital une ligne rouge qui serpente sans souci des limites : ouverte à l’infini….

Jocelyne Coster, l’itinérante

… Et au "Mouvement perpétuel",une roue de 2 mètres de diamètre dont les 84 gradients représentent l’espérance de vie la plus élevée de la planète, avec inscrite sur son anneau une portion de carte de l’hémisphère nord, lieu de ce privilège : l’objet, "ludique et didactique", note Vincent Cartuyvels, "évoque la géographie, l ‘état de la planète et des rapports nord/sud; il parle du corps humain, du nombre d’or et du mouvement perpétuel". Il nous invite à nous inscrire, y compris politiquement, dans les traces du globe et du corps ! Dans la Chapelle de Boondael, évoquée en commençant, cette roue occupait le milieu de la salle tandis que les murs et les sols ex-posaient les traces de mains et de pieds qui avaient provoqué mon saisissement ou plutôt mon dessaisissement initial…

... La découverte de l'inconnu n'est pas l'apanage de Sindbad, d'Erik le
Rouge ou de Copernic. Il n'y a pas d'homme qui ne soit un découvreur.
On commence par découvrir l'amer, le salé, le concave, le lisse, le rêche,
les sept couleurs de l'arc-enn-ciel et les vingt six lettres de l'alphabet;
puis on passe aux visages, aux cartes géographiques, aux animaux et aux
astres; on termine par le doute ou la foi et par la certitude totale de sa
propre ignorance....
Jorge-Luis Borgès, cité par Jocelyne Coster


Jocelyne Coster n’aura cessé et ne cesse de nous sérigraphier les traces qui nous inscrivent dans le monde, comme le faisaient déjà depuis la préhistoire les artistes ou les chamans - deux mots qui leur sont appliqués de façon anachronique - dont nous voyons encore sur des parois de caverne la main en négatif. A l’étrangeté s’ajoute alors l’émotion de recevoir pareil message muet infiniment humain. Avec cette œuvre contemporaine, ce sont elles, décidément, étrangeté, émotion, que nous recevons à nouveau, autrement, en partage visible de l’invu.

Eric Clémens - philosophe

2010 - Université Catholique Louvain-la-Neuve


  Proclamation du concours Hall St Barbe Ecole de Polytechnique - UCL

  Le projet récompensé est une intervention typographique en lien direct avec la fonction et l’architecture du lieu.


"Décryptage", de Jocelyne Coster est composé d'une série de mots en anglais qui font partie du vocabulaire usuel des ingénieurs polytechniciens.

Ces mots seront inscrits sans espace entre eux et à l’envers. La lecture de droite à gauche fait référence à Léonard Da Vinci.

Le plafond sera recouvert de tôles poly miroir, (à l’exception des deux verrières surplombant les passerelles transversales) elles permettront un supplément de lumière autorisant ainsi au visiteur une lecture à l’endroit.

Ce décryptage pourra se faire au départ du rez-de-chaussée ou de la passerelle. Les miroirs reflèteront simultanément le vocabulaire et les allées et venues des étudiants en vue aérienne, vu du sol. Ainsi, en regardant le plafond, on pourra percevoir la multitude de crânes circulants d’une salle de cours à l’autre. Par leur seule présence, les étudiants feront partie intégrante de l’installation.

Au terme de la cérémonie, le président du jury, le professeur Marc Crommelinck, a précisé que, dans son choix, le jury avait été particulièrement sensible aux éléments suivants : - L’EPL veut mettre en avant le rôle d’acteur de l’étudiant : c’est l’étudiant qui se forme lui-même, au sein d’un environnement qu’il appartient à l’EPL de rendre aussi riche et interactif que possible. L’œuvre de Jocelyne Coster apparaît très symbolique de cette démarche. La réflexion par le miroir rend les occupants du hall Sainte Barbe acteurs de l’œuvre, et non pas simples spectateurs. Cette réflexion renvoie l’image d’un milieu de vie privilégiant les interactions entre les personnes. L’enchaînement des mots réfléchis par le miroir apparaît porteur d’une dimension poétique. Cette dimension poétique renforce l’œuvre et en élargit l’esthétique au-delà de l’aspect purement plastique. Le rôle d’acteur des étudiants sera renforcé par l’invitation qui leur sera faite d’agir en tant qu’auteurs pour faire vivre le message véhiculé par les mots renvoyés par le miroir.- Le fait de se regarder dans un miroir est une invitation à une démarche de remise en question de soi-même. Les mots réfléchis par le miroir devront donc constituer des interpellations invitant à une remise en question. Il est symbolique que ces interpellations ne seront visibles que pour ceux qui se regarderont dans le miroir.

2009 -Exposition Chapelle de Boendael - Scales

Au centre de l’espace : une roue de 2m de diamètre dans laquelle une personne peut s’inscrire à la façon de l’homme de Vitruve. Elle est rythmée par 84 gradients, ce qui représente l’espérance de vie la plus haute de la planète, celle d’Andorre. Sur la circonférence de l’anneau, une portion de carte de l’hémisphère nord est reprise : celle de nos confortables latitudes…
Chacun peut entrer dans cet anneau, et, comme un hamster ou un prisonnier des temps anciens, le faire avancer au sol par sa propre énergie…

Aux murs, avec de semblables dimensions, des panneaux blancs, d’où apparaissent les empreintes noires de mains et de pieds, agrandis : les corps sont absents, évanouis dans cet espace monochrome, qu’ils soient recouverts d’un linceul, ou noyés dans les éblouissements de la neige et du brouillard. Les disproportions tordent ces humains reconstitués par le spectateur. Dans ces vides, on les imagine marcher, se rencontrer, porter l’enfant, s’accoupler, mourir…
Disposé en série, comme une iconostase, cet ensemble hiératique nous parle des étapes de la vie jusqu’à la mort avec des épidermes ridées, comme celle des momies dont on aurait conservé que l’empreinte, mais soufflée par l’aveuglante lumière d’Hiroshima : immatérielles.

Au centre de l’espace : un objet à manipuler, bien vivant, ludique et didactique.
Il évoque la géographie, l’état de la planète et des rapports Nord/sud ; il parle du corps humain, du nombre d’or et du mouvement perpétuel…Il amusera les enfants et les familles, et appuiera les interrogations de l’instituteur.

Aux murs, des ombres qui convoquent la mémoire et l’imaginaire ; silhouettes à recomposer, allusions à notre destin, méditation sur ce qui nous reste, quand nous ne livrons que quelques traces : de notre passage sur terre reste-t-il autre chose que le pli d’une main, qu’une empreinte sur une page blanche ?

Par un dispositif à la fois physique et désincarné, par la cohérence des gestes qui impriment, Jocelyne Coster interroge les échelles du temps et de l’espace dans lesquelles nous sommes saisis : entre notre centre de gravité intime et celui du monde.

Vincent Cartuyvels - Historien de l’Art

2007 - La Libre -21 mars

Identité cartographique

La cartographie est un mode de représentation de la terre que l’on peut aisément appliquer par exemple à des objets.
Sur ce principe finalement assez simple, Jocelyne Coster entreprend une sorte de cartographie de parties du corps humain en partant d’une analogie : les empreintes digitales ou autres parties corporelles offrent bien des similitudes formelles avec les courbes de niveaux et déterminent finalement une identité. En associant les deux données, cartographiques et corporelles, elle sème le doute sur l’image présentée et propose en fin de compte un mode de représentation abstrait du corps humain néanmoins identifiable si l’on prend la peine d’entreprendre une analyse scientifique.
En des travaux sérigraphiques de belle qualité, intenses de couleur, précis, traduisant autant la planéité que l’espace ou le relief, elle passe de l’univers corporel au terrestre en de multiples interactions, un organe pouvant ainsi devenir une île imaginaire. Perspicace.

Claude Lorent - critique d’Art

2006 – Galerie Its-Art-Ist

Le mot « minutie » : détail sans importance, disent les dictionnaires, voire insignifiant. Et en second lieu, soin donné aux moindres détails — mais les dictionnaires ne sont jamais à jour et c’est tant mieux. L’art de la sérigraphie en requiert beaucoup, de cette minutie, mais une autre acception fait ici écho : dans le domaine de la biométrie, au pluriel. Les « minuties » sont ainsi les points caractéristiques d’une empreinte digitale.
L’image brute du scan, devenue binaire, conduit à une autre, tirée de l’analyse numérique des points de minuties. Il en résulte une constellation dans un système de coordonnées, que le calcul transforme en figure virtuelle de l’identification. À partir des lignes des crêtes — qui séparent les vallées —, les algorithmes de reconnaissance d’empreintes peuvent ainsi dresser une carte de l’identité. L’extraction des minuties permet d’isoler des bifurcations ou des terminaux, qui donnent à lire l’agencement particulier des lignes papillaires du dessin digital (dactylogramme). Notons que ce processus d’abstraction s’est adjoint, par analogie, un vocabulaire de lacs, d’îlots et de deltas.
La biométrie a d’autres ressources, on le sait, qui font résonner l’idée de contrôle ; résonance intrinsèquement liée, aussi, à la cartographie. Le corps et le territoire ont une longue histoire commune. Du pied ou de la coudée à l’iris ou à la voix, un étrange basculement s’est pourtant produit. Le corps était le site de référence des nombres et des mesures de l’arpentage, pour décrire le territoire et le cartographier. Aujourd’hui, par le truchement des nouvelles technologies, il fait l’objet d’une hypercartographie donnant les moyens de contrôler … les allées et venues des corps dans l’espace et dans le temps.
Mais ces techniques ont un versant poétique, qui échappe à leur empire, et qu’explorent les circonvolutions de l’herméneutique. Les imaginaires du corps et de la carte sont innombrables et divers. Surtout dans le mouvement qui considère le regard comme échange de vues. Quand micro et macro s’enchevêtrent, la pulsion scopique produit des images dont l’utilité, à certains égards, est d’ordre critique. Télescoper l’image d’une empreinte digitale et celle d’une carte altimétrique, et les fondre en une seule texture, c’est, dans le contrechamp du sécuritaire, parler de la peau et aussi parler de la place du corps. Et c’est parler des mystères qui percent les apparences. Au fond, c’est montrer même la surface pour dire qu’elle n’existe pas sans profondeur. Et c’est en rester à la surface pour laisser libre cours aux décryptages.
La sérigraphie représente en masquant. Ses tamis d’impression sont des écrans, en partie obturés, des grilles de lecture aussi, et des trames de partition. La précision du médium, par les vertus des encres, accueille les codes du repérage qui travaillent les champs colorés en couches successives — les cartes, toujours, ont des niveaux visibles et invisibles —, et produisent des images du monde où se lisent des images de soi.
Ici, les graphes montrent des étendues nervurées, des plissements d’âge ou des corporéités paysagères. En général, une carte est un état des lieux à un moment donné, qui se parcourt mentalement. Quand le territoire considéré est fait de parcelles de corps comme autant de lieux de reconnaissance, d’autres dimensions s’ajoutent et se mélangent. Sous les apparences, se croisent alors grains de plans de lecture et essences voyageuses, géonomies et géométries, dérives anthropométriques et effigies chiffrées, abîmes spéculaires et anfractuosités dermiques, extériorités discrètes et proxémiques introjectives, embrayages énonciatifs et lacunes temporelles, cinématographies lentes et signalétiques latentes, empans mnésiques et topogrammes matriciels, topoï rétiniens et schémas heuristiques — récits tactiles et lectures figurées (sans oublier ce que les aveugles voient du bout des doigts) …
Les cartes, quelles qu’elles soient, et surtout celles-ci, sérigraphiées, sont définies par un jeu savant de cadrages et d’échelles, par des transcriptions, et surtout par l’usage de conventions visuelles ; qu’elles se déploient en séries ou en atlas accentue cet esprit de méthode. Mais les variations sur les codes, ont un étonnant potentiel imagétique. La clarté d’un tel langage semble aimer les énigmes. Si ces cartes renvoient à l’idée de fragments pris dans une totalité, elles s’émancipent de l’observé pour atteindre, au-delà des questions d’étendue, à la durée et aux variations qui s’y inscrivent. Ainsi échappent-elles à elles-mêmes — chronos, nomos et graphein —, leurs contenus ne se départissant jamais d’une esthèsis de l’être au monde.

Raymond BALAU - AICA – SCAM

2004 – exposition - Le dessus des Cartes I.S.E.L.P

Une cartographie à échelle humaine

Pour Jocelyne Coster, « La géographie de la peau et celle de la terre sont dessinées de la même manière. Seule une différence d’échelle les sépare. Ce qui est étonnant dans cette similitude de graphisme, c’est que l’on naît sur cette terre couverte d’une peau qui est le reflet de la géographie sur laquelle nous marchons (la peau sur la terre) jusqu’à la fin de notre existence, moment précis où tout s’inverse (la peau sous la terre). Et d’ailleurs, ne compte-t-on pas les années de la terre à ses courbes géologiques, topographiques et celles de l’homme au nombre de ses rides et de ses plis ? ». En confrontant la géographie de la terre et de la peau, l’artiste aborde le thème de la miniaturisation et de l’expansion. Par l’agrandissement de ses empreintes dermiques qu’elle traite comme une carte géographique, elle installe l’infiniment grand dans l’infiniment petit.


             Dans la série de cinq sérigraphies intitulées « Pacifique », on observe les lignes ondoyantes du pouce, semblables à des courbes de niveau et se détachant en noir sur fond brun, qui bordent une étendue bleue évoquant l’océan. Des méandres se créent, les rides se font îles, zones marines ou terrestres imaginaires qui s’offrent à nous en vue verticale, comme si on les survolait. Jocelyne Coster nous invite à une archéologie aérienne toute personnelle où le relief et la densité des terres sont mis en évidence par les contrastes chromatiques. Le regard mobile peut voyager mentalement en suivant les lignes, imaginer des escales. Courbes, contrecourbes, accidents topographiques, sinuosités des cours d’eau procèdent d’une lecture insolite des lignes de la main. En 1958, Piero Manzoni souligne l’analogie manifeste entre les empreintes humaines et les cartes topographiques : il conçoit « Le Otto Tavole di Accertamento » dans lesquels une carte d’Islande et une carte d’Irlande sont associées à des lettres de l’alphabet et à des empreintes digitales. « La carte d’Islande comporte quelques toponymes et cours d’eau, ainsi que des courbes de niveau dont les circonvolutions ne manquent pas d’évoquer celles des empreintes de doigts qui peuvent être lues à leur tour comme des strates topographiques. Dans cette œuvre, où l’empreinte se lit à la même échelle que la carte, Manzoni identifie le territoire à la marque de l’empreinte, dont la subjectivité s’inocule dans l’objectivité présumée de la représentation. »


             On retrouve les mêmes modalités personnelles d’appropriation de la carte dans « Coudée », une sérigraphie sur papier marouflé sur toile, légère et pliable, comme une carte routière. L’artiste utilise un système de mesures anciennes - empans, coudées, pieds - pour mesurer ces données corporelles. Une coudée est une mesure de longueur de 50 cm. « Ainsi nous renvoie-t-elle à cette antique conception de l’espace qui le voulait solidaire de nous. Le voyage sur la «peau de la terre» s’achève par un dérisoire exercice d’anthropométrie qui vide l’homme et la femme de toute substance charnelle. Le corps n’est plus qu’une série de mesures abstraites dans ces singuliers autoportraits qui réduisent leur auteur à autant de mètres pliants. Jocelyne Coster, qui se penche sur notre destin après avoir exploré des univers inconnus, constate encore que l’on compte les années de la terre à ses courbes géologiques, celles de l’homme au nombre de ses rides. Comme s’il existait une mystérieuse connivence entre les profondeurs telluriques et la surface même de notre corps-cosmos. »

Tout ce dynamisme microscopique et épidermique rappelle à l’évidence le macrocosme terrestre dans lequel nous vivons. Comme l’écrit Christine Buci-Glucksmannn, « Objet érotique et mélancolique, la peau sert de paradigme à une fondation haptique de l’art où la surface, la frontière et l’enveloppe deviennent des objets d’expérience et des modalités d’exploration du temps à travers une cartographie intime du soi ou de l’autre, comme chez Johns, Klein ou Orlan. Comme l’écrira Penone dans son image du toucher, la peau est la carte d’identité du corps, mais aussi un instrument de création des images, où l’empreinte sera précisément l’image de l’enveloppe, une mise à zéro et un point de départ ».  À cet égard, le rapport au temps et à la mort se révèle ici substantiel : l’œuvre, image figée d’un monde imaginaire dans ses contours éternels, survit à l’individu. Elle condense l’éphémère, l’insaisissable, l’état d’un corps à un moment précis. En ce sens, elle se rapporte à la mémoire de cette personne et trouve écho dans celle du spectateur.

L’astrolabe était un instrument utilisé jadis pour définir la hauteur des astres par dessus l’horizon. Jocelyne Coster a nommé ainsi une œuvre en trois dimensions dont une version monumentale se trouve à l’aéroport de Bruxelles-National. Il s’agit d’une hélice en spirale qui se compose d’un plateau central et de cinq anneaux concentriques. Une photo météosat en trois couleurs recouvre les faces recto et verso des anneaux ainsi que la face verso du plateau. Le recto est, quant à lui, imprimé d’une carte stellaire dorée sur fond bleu nuit, avec des ajours en formes d’étoiles qui laissent filtrer la lumière. La spirale descendant du plateau se termine par une évocation de la terre. Réminiscence du voyage, de la navigation, du vol, des nuages, et, par-delà, des étoiles. « Elle (la spirale) manifeste l’apparition du mouvement circulaire sortant du point originel; ce mouvement, elle l’entretient et le prolonge à l’infini : c’est le type de lignes sans fin qui relient incessamment les deux extrémités du devenir… (La spirale est et symbolise) émanation, extension, développement, continuité cyclique mais en progrès, rotation créationnelle. » L’évocation de l’incommensurabilité de l’univers nous renvoie à la dimension dérisoire de notre condition humaine.

             C’est précisément la condition humaine qui est traitée dans « Le Mouvement Perpétuel ». Jocelyne Coster a conçu la maquette d’une roue à échelle humaine afin que l’homme, à l’instar d’un hamster, puisse la faire tourner. Les 80 lattes de bois qui la composent symbolisent l’espérance de vie moyenne sous nos latitudes. Des cartes figurant les continents sont collées à l’extérieur des barreaux. Il s’agit ici de montrer le caractère éphémère de l’existence humaine. Un petit tour et puis s’en va… « La roue tient de la perfection suggérée par le cercle, mais avec une certaine valence d’imperfection car elle se rapporte au monde du devenir, de la création continue, donc de la contingence et du périssable. Elle symbolise les cycles, les recommencements, les renouvellements. » Par ailleurs, le mouvement perpétuel fait référence à une machine qui, une fois lancée, serait capable de fonctionner indéfiniment sans carburant ou apport extérieur d’énergie. La recherche du mouvement perpétuel pourrait être résumée comme la quête d’une source d’énergie inépuisable, gratuite et disponible pour tous.

L’œuvre de Jocelyne Coster est porteuse de significations multiples fortement liées à la place centrale de l’homme dans le macrocosme qui l’entoure. Elle témoigne d’une perception véritablement humaniste du monde, avec peut-être un espoir secret, celui de conserver un geste, un passage, un trajet existentiel de l’être humain à titre individuel.

Frédérique Margraff - Historienne de l’Art

2001 - Exposition – galerie Artitude

Une cartographie personnelle

Il y a dix ans, la sérigraphe Jocelyne Coster (Bruxelles, 1955) s'inspirait de photographies aériennes.Elle créait ainsi une cartographie rythmée des courbes hypsométriques.Aujourd'hui, elle abandonne les lointains pour explorer ses propres empreintes digitales.C'est tout le jeu de l' infiniment grand et de l 'infiniment petit.Toutefois, chez Jocelyne Coster, il y a métamorphose et les lignes ondoyantes de son pouce s'inscrivent en tracés noirs se détachant sur une carnation brune tandis que des sillons bleu vif évoquent des bras de mer.
Des codex tactiles
Nous contemplons ici une nouvelle cartographie très intime qui capte une géographie très personnelle.Des agrandissements d'empreintes de la main s'appréhendent comme autant de vibrations fertiles.Ils cadencent des rides dermiques qui deviennent des îles, des presqu'îles dans une mer toute virtuelle.Et les plis très codifiés se déploient.Ils inventent des zones marines et terrestres imaginaires.
En partant de la réalité, Jocelyne Coster imagine des fiefs inconnus. Cette géographie sensible se nourrit de mesures anciennes, empans, coudées, pieds.La dérive poétique agit d'une façon visuelle et les codex tactiles imposent leur écriture à la fois étrange et ancrée dans le corps même. Ainsi Jocelyne Coster enrichit sa présence au monde.

Jo Dustin – critique d’art - le Soir

2001 – L’ Art Même

"Anthropométrie"

De l’infiniment petit à l’infiniment grand, de la géographie de la peau à celle de la terre, des empreintes digitales à celles de l’univers , Jocelyne Coster explore picturalemant et de manière métaphorique l’insondable connivence entre les profondeurs dermiques et tellurique. Cosmographie d’un monde intérieur qui renvoie par le biais d’un travail sériel et par un effet de survol visuel en altitude constante ou décroissante, à la captation de géographies insulaires. D’une plongée scopique, émergent des mondes inventés avant que ces rapports consubstantiels ne se décantent en un système de mesure où le corps abstractisé n’apparait plus qu’a l’aune de données comptables (les anciennes mesures que sont l’empan, la coudée et le pied).Alors, se déploient dans l’espaceautant de mètres pliants, d’anthropométries que de singuliers “autoportraits”.

Christine Jamart – critique d’art

2001 - Exposition- galerie Miroir d’Encre

Les Périls du voyage

Jocelyne Coster aime prendre de la hauteur. Il y a une dizaine d’années, elle planait allégrement dans les airs et photographiait la terre vue d’avion. Elle décomposait ensuite le paysage vu de très loin en une série d’acryliques et de sérigraphie sur toile agrémentées de courbes hypsométriques. Aujourd’hui elle se penche sur son propre corps et confronte la géographie de la peau et celle de la terre.
Un peuple d’Afrique occidentale appelle ”peaux de la terre” , des fragments particulièrement sacrés de son territoire: des lieux intacts, retirés de l’usage commun, et qui se signalent à l’attention par un petit bosquet , un marigot ou un rocher. Ce sont ses propres empreintes digitales que Jocelyne Coster se propose à présent de confronter avec celles de l’univers. Nous marchons sur “la peau de la terre”, avant de lui confier notre propre peau, “la peau sous la terre”, observe-t-elle négligemment comme par boutade. Mais ces propos révèlent le dessein même de l’entreprise : confronter l’infiniment petit à l’infiniment grand.
L’exploration géographique, commencée il y a bien longtemps, se poursuit sur de grandes toiles. Je m’explique. Les lignes ondoyantes du pouce de la main gauche (noir sur fond brun) bordent la tache bleue d’un océan; ou emprisonnent la courbe d’un cours d’eau. L’océan est clairement identifié avec le Pacifique dans une série homogène de cinq sérigraphies .Et le fleuve serpente mêmement sur cinq autres panneaux.
A présent expérimentons la paume lorsqu’elle figure une île découverte à très haute altitude. Nous nous approchons en quatre étapes. Des chiffres indiquent la hauteur à laquelle se situe le regard:3500, 2500, 2000, 1500 pieds.
La même impression de la paume apparaît en noir sur fond blanc portant la date de l’empreinte et l’indication réaliste “main gauche”.
L’épreuve suivante est colorée: la paume s’inscrit en brun doré sur un fond bleu très vif. Le titre (isola) indique que nous sommes invités à visiter à nouveau une île. Mais cette fois nous ne nous en approcherons pas; nous nous contenterons de la survoler à altitude constante dans les quatre figures suivantes, toutes de même dimension (volare nel blu). Jocelyne Coster poursuit là, avec d’autres moyens, une interrogation sur la “cosmographie du monde mineur” , que Léonard de Vinci avait inaugurée en se proposant d’écrire un traité d’anatomie inspiré de Ptolémée le géographe.(Projet que malheureusement il abandonna comme tant d’autres.)
Troisième expérience. A partir d’empreintes de sa peau notre expérimentatrice utilise d’anciennes mesures pour mesurer son corps: l’empan, la coudée , le pied.
Ainsi nous renvoie-t-elle à cette antique conception de l’espace qui le voulait solidaire de nous. Le voyage sur la ”peau de la terre” s’achève par un dérisoire exercice d’anthropométrie qui vide l’homme et la femme de toute substance charnelle. Le corps n’est plus qu’une série de mesures abstraites dans ces singuliers autoportraits qui réduisent leur auteur à autant de mètres pliants. Jocelyne Coster, qui se penche sur notre destin après avoir exploré des univers inconnus, constate encore que l’on compte les années de la terre à ses courbes géologiques, celles de l’homme au nombre de ses rides .Comme s’il existait une mystérieuse connivence entre les profondeurs telluriques et la surface même de notre corps- cosmos. Mais elle dit cela avec son inaltérable sourire, en s’amusant, en nous conviant à en rire. Libre à nous de nous en inquiéter.

Luc de Heusch – Antropologue – professeur U.L.B

1999 - Le rapport graphique

La Géographie de la peau et celle de la terre sont dessinées de la même manière (topographie dermographie).
Seul une différence d’échelle les sépare.
Ce rapport d’organisation similaire entre l’infiniment petit et l’infiniment grand se retrouve à tous les stades de la vie.
Ce qui est très étonnant dans cette similitude de graphisme, c’est que l’on naît sur cette terre couvert d’une peau qui est le reflet de la géographie sur laquelle nous marchons ( la peau sur la terre ) jusqu’a la fin de notre existence, moment précis où tout s’inverse( la peau sous la terre ).
Et d’ailleurs, ne compte-t-on pas les années de la terre à ses courbes géologiques, topographiques et celle de l’Homme au nombre de ses rides et de ses plis?

Jocelyne Coster

1999 – exposition G.P.O.A

“Doublés voyageur à la GPOA”

.....”Cette fois, Jocelyne Coster ( Bruxelles 1955) expose de grands tableaux dont la structure sérigraphique obtenue par ordinateur est nourrie de couleurs intenses: bleu, rouge, jaune, noir. Loin d’être une nouvelle venue aux cimaises, elle témoigne d’une réelle maîtrise dans l’appropriation et le mélange des techniques. Ses expositions précédentes consistaient en tableaux aériens d’une belle qualité poétique, qui paraissaient balayer la surface de la terre pour n’épingler que des données physiques, mathématiques, astronomiques.

Elle a progressivement intégré des empreintes dermiques (doigts ou autres parties du corps) à ces constellations transparentes. Puis ces empreintes se sont élargies, monumentalisées, systématisées, envahissant tout le champ du tableau pour laisser filtrer à travers leurs alluvions, une géographie neuve du monde.

Abstraits, forcément graphique, ces strates composent des labyrinthes, des méandres très rythmés qui emprisonnent dans leur réseau un nouveau type de paysage évocateur de genèse. On lit comme entre les lignes de le main...”.

Daniele Gillemon- critique d’art – Le Soir

1999 - In EnIronemental n°19-20 - I.S.E.L.P
  Chantier du présent

"Astrolabe" à l'aéroport de Bruxelles-National

"Elle épluchait la terre comme on épluche une orange, la spirale de l'épluchure (celle avec laquelle on doit faire un voeu) se déploie, s'ouvre, nous dévoile ses anneaux, ses espaces vides et pleins. Elle avait décidé d'installer une sorte de grand "astrolabe" dans un aéroport, celui de son pays."

Ainsi s'exprime Chantal Talbot dans l'exégèse de l'oeuvre de Jocelyne Coster inaugurée en mai dernier. "Astrolabe" est en effet le nom donné par l'artiste à sa sculpture qui se déploie dans une cage d'escalier, sur deux étages. Elle fait référence à l'instrument dont on usait jadis pour définir la hauteur des astres par- dessus l'horizon et qui est plutôt utilisé, à l'heure actuelle, pour évaluer heures et latitudes. Elle évoque aussi le voyage, la navigation, le vol, ainsi que les nuages et par-delà les étoiles.

Une hélice en spirale, composée de cinq anneaux concentriques et d'un plateau central en aluminium, voilà ce dont se compose la réalisation. Les faces recto et verso des anneaux sont imprimées d'une photo météosat en trois couleurs, tandis que seul le verso du plateau central en est recouvert.

Au recto de ce plateau , l'artiste a reproduit sur fond bleu nuit une carte astrale dorée, percée de plusieurs formes étoilées de différents diamètres qui permettent à la lumière de s'insinuer. De ce plateau descend une spirale en acier inoxydable, imprimée selon le même motif sur les deux faces, qui se termine, dans le bas par une évocation de la terre. L'oeuvre baigne dans la lumière d'une ample baie vitrée qui, selon les heures de la journée, fait ou non scintiller les étoiles.

Elle est installée dans la zone qui se situe après le passage de la douane, il faut donc, pour la découvrir, être muni d'un titre de transport ou d'un laisser passer.

Environnemental p.148

1990 - Exposition - Galerie Miroir d’Encre

Comme Icare

Claustrophobe, Jocelyne Coster s'est accroché les ailes d'Icare pour échapper à l'angoisse du Labyrinthe. Elle plane dans les airs à une altitude raisonnable, grâce à des prothèses volantes : le système ULM (un Delta muni d'un moteur ultra léger).Libérée du sentiment d' étouffement, solidement amarrée aux nuages, elle photographie la terre avec ce regard éloigné qui est le début de l'art (et de l'ethnologie).

Comme l'aéronef, piloté par un compagnon, se déplace très très lente ment, elle découpe le paysage qui défile sous ses pieds en une série d'images fragmentaires qu'il est aisé de raccorder plus tard dans un alignement arbitraire, plus ou moins zigzagant, pour reconstituer une espèce de figure métamorphosée du réel, ce qui est le second temps de la démarche artistique. Mais il est trop facile de s'arrêter là. Les photographies mises bout à bout sont imprimées sur une grande toile par la technique sérigraphique (qui admet n'importe quel support, fut- il celui de la peinture). Alors intervient une troisième démarche qui consiste à rendre ces fragments de réalité arrachés à la terre plus vrais que nature, en projetant sur ce petit bout d'univers, saisi d'en haut, la carte hypsométrique qu ilui correspond en bas, en faisant joue librement photographie aérienne et géographie. On y ajoute enfin à l'acrylique quelques nuages pour faire plus vrai encore.

Démarche mythique inclassable, qui tente d'établir une médiation entre Ciel et Terre ;démarche qu'annonce dès le départ, le bruit de tondeuse à gazon que fait, sans endommager les nuages, le moteur ultra léger du Deltaplane.

Voici quelques exemples de ce travail singulier, parfaitement original, qui réconcilie,
à hauteur d'oiseau, l'abstrait et le concret. Une ligne de chemin de fer serpente. Les courbes de niveau du parcours son imprimées sur une vitre posée sur la toile-terre, de telle sorte qu'elles paraissent avoir été extraites du sol.

Le lac de la Plate Taille montre une rive: la ligne de partage de la terre et d'un bassin artificiel. La carte hypsométrique colle au paysage sur lequel elle est projetée. Les courbes de niveau s'enfoncent même dans la surface bleue, rappelant l'existence fantomatique du village que l'eau du barrage a englouti. (On peut encore, parait-il, le visiter en scaphandre).

Voici un triptyque important, complémentaire de l'oeuvre précédente : le barrage de l’Eau d’Heure, vu sous trois angles différents, toujours à vol d'oiseau Delta. La composition cette fois est discontinue (les photographies ne se raccordent pas) mais l’unité est rétablie par la projection du plan d'architecture qui est à l'origine de l'édifice et qui se substitue ici à la
carte hypsométrique (ce relevé établi après coup, quand la Nature a terminé- provisoirement -son oeuvre).
Ou encore ces premiers essais : divers itinéraires pour joindre Bruxelles à Bruxelles en survolant (à hauteur de satellite) une mappemonde. On y découpe des fragments que l'on agence comme on veut, selon diverses courbes (puisque la terre est ronde) et que l'on imprime - toujours selon le même procédé sérigraphique - sur papier Japon, collé ensuite sur la toile.
Cet espace, continu mais morcelé, est soudé aux fuseaux horaires ; il porte la marque du jour et de l'heure où sa composition fut .achevée : alors que le jour règne ici, c'est la nuit là-bas (ou inversement).
Icare, à peine sorti du Labyrinthe, s'est cassé la figure. Jocelyne Coster se balance gracieusement dans les airs, avec une espèce de gravité souriante qui donne le vertige.

Luc de Heusch  -  anthropologue – professeur U.L.B

 1990 – Exposition – Maison de la Culture - Namur

Nul n'ignore que prisonnier d'un labyrinthe, Icare s'en échappa grâce à des ailes de cire. Cette légende d'Ovide peut servir de métaphore à la démarche artistique de Jocelyne Coster. Voilà une artiste qui "décolle", littéralement... Impatiente de s'évader de l'exiguïté de notre espace terrestre, elle prend son envol, et c'est dans les airs que commence sa création. En ULM, elle survole montagnes et plaines, villages et chemins de fer et, du haut de ses cimes intangibles, goûte à un espace et à un temps sans amarres, rythmé par son propre déplacement dans les airs. Flottement des sens... Le paysage devient état d'âme, et ses méandres retracent la dérive capricieuse de l'imaginaire hors de la claustrophobie du réel.

Dès l'invention de la photographie, Nadar s'était élevé en montgolfière pour photographier Paris. Lors de ses voyages aériens, J. Coster prend plusieurs photos d'un même site. De retour à l'atelier, elle les aligne bord à bord, chaque photo se poursuivant dans l'autre, et les imprime en sérigraphie avant de retravailler la toile à l'acrylique. A rebours du temps instantané de la photographie, J. Coster inscrit, par la pluralité des prises de vues d'un même lieu, la durée dans l'espace simultané de la toile, déroulant ainsi une trajectoire dans l'espace-temps. Une itinérance dans le visible. Déjà les premiers travaux, "Ephémérides", disposaient, côte à côte, des cartes dont certaines, étirées en long rectangle, suggéraient par leur brouillage chromatique, une traversée réelle de l'espace-temps.

L'objectivité du médium (photo, carte) est ainsi déportée dans un temps et un espace relatifs qui débouchent sur un voyage imaginaire, mais qui s'origine dans des lieux existants. Dans ses vues du Midi de la France, le travail pictural participe de cette désignation à travers des couleurs ocre qui évoquent la chaleur du pays, contrastant avec la luminosité du bleu de la mer. J. Coster fait ressortir le relief et la densité visuelle de l'étendue terrestre, pratiquant en quelque sorte une archéologie aérienne ou elle signale par des touches de couleur les repéres humains (villages, églises) souligne les ressacs d'un paysage qui devient une géographie intérieure.

Toute son oeuvre tisse des liens entre les données rationnelles de la science et celles ,imaginaires, de l'art : la photographie est un procédé mécanique d'enregistrement qui, de plus, opère ici le relevé d'une topographie. Si J. Coster en souligne les dénivellations ou les aspérités géologiques, elle inscrit souvent, dans ses paysages, des chiffres, marquant l'altitude ou les degrés, qui amplifient la rigueur géophysique de l'espace, tout en lui conférant une dimension conceptuelle, abstraite puisqu'il ne s'agit pas ici de simple représentation, mais d'un processus temporel. Le titre d'une série d'oeuvres "ascendance", manifeste bien la dualité des travaux, ascendance est à la fois un terme concret de vol et un concept. L'indétermination poétique surgit de la précision topographique elle-même.

Si les photographies s'enchaînent pour former l'oeuvre, les toiles se continuent en série, entraînant un déplacement physique du spectateur qui recompose les étapes successives d'un parcours, d'une incursion dans la relativité de l'espace et du temps. De part et d'autre de la toile, des nuages au premier plan s'entrouvrent, invitant le spectateur à se mettre dans la situation même de l'artiste et à plonger dans les airs. Le travail pictural crée à la fois cette proximité et une distanciation: on n'aborde pas frontalement l'oeuvre de J. Coster comme c'est le cas d'ordinaire pour une peinture, mais en léger surplomb - là réside une de ses originalités: dans l'angle de vue requis qui n'appelle pas seulement au regard, mais suscite aussi une sensation presque physique d'espace qui se dilate tout autour et se prolonge vers l'infini. D'ailleurs, J. Coster s'accroche à un repère qui traverse toute la toile: une ligne (route ou chemin de fer) se détache, incision blanche, dont on ne voit ni le début ni la fin, dans une asymptote verticale, infini mathématique et poétique.

La photographie aérienne se combine ainsi au relevé cartographique: la photo rend compte d'une configuration matérielle, représentée abstraitement par la carte, faisant ainsi s'interpénétrer deux modes différents d'approche du réel. Dans les sérigraphies de plus petit format, les linéaments planimétriques de la carte sont sérigraphiés à même le verre, qui devient ainsi un élément plastique, de manière à susciter tout un jeu d'interférences visuelles entre les plans de transparence et d'opacité.

L'échelle réduite du plan prend les dimensions du vécu qui s'y surimprime. J. Coster multiplie les lectures du réel pour les faire fusionner: photo, carte, sérigraphie, peinture, autant de façons de démontrer l'arbitraire de nos codifications, comme l'énonçaient déjà les premiers travaux sur les fuseaux horaires. L'objet ici, le lieu photographié - se dérobe, insaisissable, les stratifications qui le recouvrent l'éloignent tout en le faisant désirer, caché en partie par ces nuages, célébrés par l'Etranger de Baudelaire et vers lesquels s'envole Jocelyne Coster.

Marie-Ange Brayer – Historienne de l’Art